Les auteurs: Luwieke Bosma, Lucia Moreno Spiegelberg et Gauthier Dobigny.
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Bonjour à tous ! Je m’appelle Rova et j’habite à Ankasina, un quartier d’Antananarivo, la capitale de notre belle île de Madagascar ! On pourrait qualifier notre quartier de bidonville, mais nous l’appelons ici Ambany tanàna, ou « bas-quartier » en français. Ce nom a une histoire : autrefois, les rois et les reines, leur cour et les personnes riches et puissantes vivaient sur les hauteurs. Tandis que les travailleurs pauvres cultivaient le riz dans les parties basses et inondables du pays pour les nourrir. Aujourd’hui, la plupart des quartiers pauvres d’Antananarivo se trouvent dans ces basses terres qui sont encore inondées de nos jours, comme vous pouvez le voir sur les photos. La plupart des bas-quartiers sont des quartiers très vulnérables, souvent informels et habités principalement par des familles pauvres qui n’ont généralement qu’un accès très limité à l’emploi, à l’éducation ou à la santé. Ils sont très insalubres.
Figure 1 : Ces photos montrent les niveaux de pauvreté et l’environnement insalubre d’Ankasina à Antananarivo, Madagascar. L’approvisionnement en eau est également un problème majeur, comme en témoigne la longue file de bidons qui attendent d’être remplis d’eau potable à la fontaine publique.
Comme vous pouvez le constater, nos conditions de vie ne sont pas faciles : l’assainissement est quasiment inexistant, l’accès à l’eau potable est difficile, les voies sont très instables et les déchets sont omniprésents. Les rongeurs abondent un peu partout. Les hauts plateaux malgaches sont magnifiques et abritent une grande variété d’espèces endémiques, comme les fameux lémuriens. Malheureusement, c’est aussi une région où sévit encore la peste humaine, une maladie surtout connue pour la grande épidémie, également appelée « peste noire », qui a tué près de la moitié des habitants de l’Europe aux 14ème et 15ème siècles.
Il y a quelques années, la capitale Antananarivo a été durement touchée par une épidémie de peste . Plus récemment, des chercheurs nous ont rendu visite pour nous aider à résoudre le problème des rongeurs. Ils ont souligné que, outre la peste bien connue, il existe d’autres maladies souvent ignorées[i], telles que le typhus et la leptospirose. Ils nous ont dit que dans notre communauté, les rats sont aussi susceptibles de propager ces maladies . Mais comment savoir si ce sont ces maladies qui provoquent nos fièvres ?
J’ai dit aux chercheurs que j’étais intéressée pour travailler avec eux et à en apprendre davantage sur ce sujet. Avec deux autres gars du quartier, Diallo et Bolida, nous sommes devenus une équipe solide. Nous en apprenons beaucoup sur les rongeurs, leurs puces, leur mode de vie, les microbes qu’ils transportent, et nous partageons ces connaissances avec les habitants. Nous faisons beaucoup de choses différentes, comme piéger les rongeurs et collecter les puces avec les chercheurs, et mener des enquêtes pour savoir ce que les gens pensent des rongeurs et des problèmes qu’ils posent. Nous participons également à des campagnes d’éducation et de sensibilisation, en partenariat avec une ONG locale, Vahatra. Récemment, nous avons passé une matinée à dialoguer avec la communauté sur ces sujets par le biais de la musique et de discussions sur la lutte contre les rongeurs, avec des activités pour les enfants, notamment des danses et des chansons sur les rongeurs. Cette approche pratique a permis de sensibiliser la population d’une manière ludique.
Figure 2 : Exemples du travail effectué par Rova, Diallo et Bolida à Ankasina. L’image en bas à gauche montre Zaina (IPM) expliquant aux écoliers du Centre Betania les maladies véhiculées par les rongeurs.
Je voudrais vous présenter Nirina, qui était également présente. Elle est l’une des chercheuses de l’Institut Pasteur de Madagascar qui dirige le projet à Madagascar. Elle explique : la collaboration avec la communauté est essentielle pour nous en tant que chercheurs, c’est un véritable échange et nous apprenons beaucoup sur les rongeurs d’Ankasina grâce à la population. Nous organisons le travail sur le terrain avec notre équipe au niveau communautaire, Rova, Diallo et Bolida, nous les guidons sur la façon de poser les pièges, de faire les enquêtes, etc. Lorsque nous avons des résultats, nous organisons une réunion pour les expliquer aux habitants, obtenir leurs commentaires et recueillir leurs idées. Nous discutons avec eux des prochaines étapes : que pourrions-nous faire à Ankasina pour réduire les nuisances causées par les rongeurs ? Par exemple, la prochaine étape pourrait consister à tester une campagne de piégeage participatif. Bien entendu, avant de commencer, nous consulterons la communauté pour voir si elle est d’accord. Aujourd’hui, nous regardons en arrière et nous constatons que nous avons fait des progrès : par exemple, les habitants d’Ankasina reconnaissent clairement que les rongeurs posent des problèmes. Cela peut sembler peu, mais sans cet acquis, impossible d’envisager les prochaines réalisations.
Figure 3 : Campagne de sensibilisation de la communauté avec de la musique, de la danse et des démonstrations de bonnes pratiques.
Les rongeurs constituent un danger notoire pour la santé humaine, mais le risque qu’ils représentent sont variables. Les personnes qui vivent dans des environnements dégradés, comme les bidonvilles, sont plus exposées aux rongeurs et donc aux zoonoses transmises par les rongeurs, d’autant que ces animaux sont connus pour s’adapter très bien au mode de vie humain, y compris dans les villes.
Dans les pays en développement, les personnes frappées par la pauvreté portent un lourd fardeau de maladies transmissibles et souvent négligées par le secteur de la santé. Ces maladies sont qualifiées de « négligées » en raison de leur impact principalement sur les populations pauvres, du peu de connaissance et d’attention dont elles bénéficient de la part des services de santé (notamment par rapport aux grandes maladies infectieuses comme le VIH/SIDA, la tuberculose et le paludisme) et de l’absence de déclaration obligatoire dans de nombreux pays . Elles attirent beaucoup moins l’attention des médias et des autorités, tandis que la rentabilité probablement limitée des traitements préventifs ou curatifs décourage souvent les investissements privés. Pourtant, les maladies négligées ont un lourd impact sanitaire mais aussi économique et social sur les individus, les familles, les communautés et les nations.[i] En plus, comme les symptômes de nombreuses maladies négligées ne sont pas très spécifiques, il est souvent difficile de faire la différence entre leurs symptômes et ceux de maladie plus connues, comme le paludisme par exemple. Ainsi, lorsque les agents de santé ne sont pas bien formés, personne ne sait les reconnaître, et elles continuent de frapper en silence.
Que faut-il savoir sur les rongeurs quand on veut lutter contre les maladies qu’ils disséminent dans un paysage urbain comme celui d’Ankasina ? Il y a plusieurs choses à connaître, et tout d’abord, leurs déplacements. Plus précisément, il s’agit de savoir jusqu’où les rongeurs peuvent se déplacer dans le quartier. C’est très important pour la gestion des rongeurs car cela nous donne des éléments concrets sur l’échelle spatiale à laquelle la lutte doit être mise en œuvre.
Figure 4 : Travail au laboratoire avec notamment la détection de la rhodamine avec la lampe UV qui indique clairement que ce rat a ingéré le colorant fluorescent contenu dans notre appât.
C’était la première fois que nous étudiions cet aspect dans une ville africaine. Notre étudiant Tahiana a placé des appâts contenant de la rhodamine (un colorant détectable en lumière ultra-violette) sur le terrain à des endroits précis géoréférencés. Les rongeurs ont ensuite été capturés et ceux qui avaient senti ou mangé les appâts marqués à la rhodamine ont été identifiés au laboratoire par l’utilisation d’une simple lampe UV braquée sur leur nez ou leurs organes pendant la dissection. Les animaux positifs, c’est-à-dire dont le nez ou l’estomac étaient fluorescents, indiquaient clairement qu’ils avaient été en contact avec l’appât, généralement au cours des dernières 24 à 48 heures.
A Antananarivo, nos observations ont été plutôt intrigantes : contrairement à ce qui a été décrit auparavant dans d’autres villes du monde, les rats de la capitale malgache semblent présenter une mobilité particulièrement grande, parcourant régulièrement plusieurs centaines de mètres la même nuit. De plus, ils circulent fréquemment entre les rizières qui s’étendent dans les bas-fonds et les maisons des alentours. Les routes goudronnées ne semblent pas constituer un obstacle à leurs mouvements. Enfin, les marchés (et probablement les marchandises qu’ils abritent) semblent les attirer de plus de 100 mètres à la ronde.
Au-delà de la mobilité des rats, nous avons aussi découvert que la souris était très abondante dans les maisons de la ville, et qu’elles se reproduisaient toute l’année. Leur incroyable capacité à proliférer n’est pas une bonne nouvelle car elle signifie qu’il faudra agir aussi contre cette petite espèce difficilement saisissable, et qu’il faudra le faire en continue pour limiter leur abondance.
Nous continuons à avancer sur l’évaluation et l’adaptation des stratégies de lutte contre les rongeurs à Ankasina. Avec toute notre équipe sur le terrain, nous planifions continuellement de nouvelles étapes dans notre recherche qui évolue au gré des informations que nous collectons et des résultats que nous obtenons. Nous pensons avoir désormais une base solide dans le quartier et avons clairement réussi à briser la glace sur le sujet, par exemple en sensibilisant aux problèmes des rongeurs pendant nos nombreuses séances de recherche et d’éducation sur le terrain. Après avoir mieux compris la diversité et l’écologie des rongeurs d’Ankasina, nous prévoyons maintenant de proposer aux habitants une approche participative de lutte dans laquelle Rova, Diallo et Bolida distribueront des pièges aux habitants, pièges qu’ils viendront relever chaque matin pour récupérer les rongeurs capturés. Ces captures massives seront combinées à l’utilisation de plaques de traçage : ce sont des carreaux recouverts de peinture qui permettent de savoir si des rongeurs sont passés. Dans notre cas, elles seront utilisées pour évaluer l’effet de ces piégeages sur l’activité des rongeurs, et donc pour vérifier la lutte participative est efficace. Il reste encore beaucoup de chemin à parcourir, mais à chaque étape, nous apprenons quelque chose de nouveau !
Dans le cadre de SCARIA, nous travaillons à l’atténuation durable, au niveau communautaire, des problèmes liés aux rongeurs dans les villes africaines de : Niamey au Niger, Cotonou au Bénin, Wolaita Sodo en Ethiopie et Antananarivo à Madagascar. À Antananarivo, nous travaillons dans le quartier d’Ankasina, qui est un bidonville typique pour le risque d’émergence de la peste urbaine.
Suggestions pour en savoir plus :
Awoniyi, A.M., Barreto, A.M., Argibay, H.D. et al. Systematic surveillance tools to reduce rodent pests in disadvantaged urban areas can empower communities and improve public health. Sci Rep 14, 4503 (2024). https://doi.org/10.1038/s41598-024-55203-5
Awoniyi, A.M., Venegas-Vargas, C., Souza, F.N. et al. Population dynamics of synanthropic rodents after a chemical and infrastructural intervention in an urban low-income community. Sci Rep 12, 10109 (2022). https://doi.org/10.1038/s41598-022-14474-6
Awoniyi, A. M., Souza, F. N., Zeppelini, C. G., Xavier, B. I. A., Barreto, A. M., Santiago, D. C. C., Santana, J. O., da Silva, E. M., Costa, F., Begon, M., & Khalil, H. (2021). Using Rhodamine B to assess the movement of small mammals in an urban slum. Methods in Ecology and Evolution, 12, 2234–2242. https://doi.org/10.1111/2041-210X.13693
En savoir plus sur les maladies négligées dans ce “Global report on neglected tropical diseases 2024. Geneva: World Health Organization; 2024. Licence: CC BY-NC-SA 3.0 IGO. https://www.who.int/teams/control-of-neglected-tropical-diseases/global-report-on-neglected-tropical-diseases-2024
Ehrenberg, J.P., Ault, S.K. Neglected diseases of neglected populations: Thinking to reshape the determinants of health in Latin America and the Caribbean. BMC Public Health 5, 119 (2005). https://doi.org/10.1186/1471-2458-5-119