Auteurs: Girma Senbeta, Lucia Moreno Spiegelberg, Nardos Masresha et Guta Eshatu
Bienvenue à Wolaita Sodo, l’une des plus anciennes villes de la région des Nations, Nationalités et Peuples du Sud (SNNPR) en Éthiopie, fondée il y a 113 ans. Située au pied du mont Damota, Wolaita Sodo est le centre administratif du district de Sodo Zuria et le siège de la SNNPR. Cette ville est l’une des 22 villes sélectionnées par le gouvernement pour une réforme de développement plus poussé, ceci afin d’améliorer son attractivité et ses normes. C’est un centre de transport important, qui relie six voies de transport nationales et régionales.
La plupart des habitants de Wolaita Sodo gagnent leur vie grâce à de petites et moyennes entreprises comme les services hôteliers, les magasins de céréales, les moulins, la fabrication de tissus et les pâtisseries. Cependant, la ville est confrontée à des défis socio-économiques, notamment la pénurie de logements, les problèmes de santé et le chômage, principalement en raison de la croissance rapide de la population et de l’important exode rural. En outre, Wolaita Sodo est confrontée à de graves problèmes de rongeurs, en particulier sur les rives de la rivière Bashir, dans les zones denses d’habitat informel et près du pied du mont Damota.
La zone étudiée est située le long de l’une des rivières Bashir qui traverse la ville de Sodo, où les maisons sont réparties aléatoirement et entourées de végétation. Les principaux facteurs alimentant le problème d’infestation des rongeurs sont la mauvaise gestion des déchets et l’inefficacité des méthodes de lutte . Les déchets s’accumulent le long des berges, entraînés par la rivière, offrant aux rongeurs de vastes cachettes et d’abondantes ressources alimentaires. Cet environnement permet aux rongeurs de prospérer et de se reproduire activement, ce qui aggrave le problème.
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C’est là qu’intervient le projet SCARIA, qui signifie Sustainable Community-Based mitigation of Rodent Issues in African cities (ou atténuation durable des problèmes liés aux rongeurs dans les villes africaines). Cette initiative vise à développer une stratégie scientifique et communautaire de gestion écologique des rongeurs (EBRM) dans quatre villes africaines : Wolaita Sodo en Éthiopie, Niamey au Niger, Cotonou au Bénin et Antananarivo à Madagascar.
L’objectif principal du projet est de mettre en place des groupes de travail locaux composés d’experts universitaires, de responsables de la santé publique et de représentants des communautés. En Éthiopie, l’équipe de MetaMeta a déjà acquis une expérience précieuse dans le développement de stratégies EBRM dans le contexte rural d’Amhara. Leurs efforts ont été récompensés par le prestigieux prix alimentaire Olam, qui souligne leur expertise et leur succès dans ce domaine. En s’appuyant sur les connaissances et l’expérience des communautés locales et des experts, le projet SCARIA vise à créer des solutions durables qui améliorent la santé publique et la qualité de vie dans les villes africaines. En Éthiopie, les universités de Wolaita Sodo et l’université agricole suédoise, MetaMeta Ethiopia, ainsi que des acteurs locaux, tels que des entreprises, des responsables de la santé, des représentants des communautés et d’autres parties prenantes, ont participé à ce projet.
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En juillet et août 2023, l’équipe SCARIA s’est embarquée dans une mission pour comprendre la profondeur du problème des rongeurs à Wolaita Sodo. Des groupes de travail locaux ont été créés dans le but d’évaluer les conflits entre l’homme et la faune (en anglais, HWC) et les risques sanitaires associés. Le projet s’est concentré sur l’étude des indicateurs socio-économiques, écologiques et épidémiologiques liés aux rongeurs urbains et à leurs impacts. En combinant des enquêtes sur les connaissances, les attitudes et les pratiques (en anglais, KAP surveys), des discussions de groupe (en anglais, FGD ou Focus Group Discussions) et des réunions avec les parties prenantes, l’équipe a recueilli des informations auprès de la communauté locale et de diverses parties prenantes. Cette approche holistique a permis de s’assurer que les voix des résidents, des autorités locales et d’autres acteurs clés étaient entendues et prises en compte.
Les enquêtes KAP ont été menées auprès de 156 ménages, ce qui donne un aperçu du profil démographique de la communauté. La plupart des personnes interrogées étaient jeunes, âgées de 20 à 40 ans, et la taille moyenne des familles était de 5,2 personnes. L’étude a révélé que près de 95 % des personnes interrogées ont signalé la présence de rongeurs à leur domicile ou sur leur lieu de travail. Les rencontres avec les rongeurs sont fréquentes, 77 % des personnes interrogées les observant quotidiennement, ce qui a un impact sur divers aspects de la vie, de la santé à l’infrastructure. Plus d’un tiers des personnes interrogées ont connu des problèmes de santé liés aux rongeurs, notamment des morsures de rats, qui présentent de graves risques pour la santé. Les rongeurs pénètrent également dans les entrepôts alimentaires où ils défèquent, augmentant ainsi le risque de propagation d’agents pathogènes à la population.
L’impact économique a également été mis en évidence puisque les ménages ont signalé des pertes financières substantielles dues aux dommages causés par les rongeurs, avec un coût annuel moyen pour les dommages causés aux cultures stockées et aux infrastructures d’environ 150 dollars US par ménage, ce qui représente une charge financière importante pour les habitants de Wolaita Sodo. 150 dollars américains par ménage, ce qui représente une charge financière importante pour les habitants de Wolaita Sodo. Pour résoudre ce problème, de nombreux habitants ont essayé des techniques telles que posséder des chats, mais leur présence ne suffit pas à contrôler la population de rats, la raison la plus probable étant que les rats sont beaucoup plus nombreux que les chats et que ces derniers ne peuvent donc pas suivre. Compte tenu de la gravité des problèmes liés aux rongeurs, la population locale se contente de nettoyer les alentours des maisons (notamment en coupant les buissons et en désherbant, en enlevant les débris charriés par les inondations pendant les pluies) et d’appliquer des rodenticides chimiques achetés auprès de vendeurs locaux.
Les gens essaient déjà de s’attaquer au problème des rongeurs, et ils dépensent en moyenne 51 dollars US par an pour ces efforts. Bien que l’étude ait mis en évidence la prévalence de la lutte contre les rongeurs menée par les habitants eux-mêmes (93 %), la plupart des membres de la communauté semblent intéressés par les efforts de collaboration (52 %). À ce jour, il n’est pas courant que la communauté entreprenne une lutte collective contre les rongeurs ; cependant, elle a probablement un grand potentiel pour augmenter son rapport coût-efficacité.
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Lors de multiples discussions avec les représentants des communautés, les participants ont fait part de leur compréhension des schémas saisonniers des infestations de rongeurs. Ils ont noté que la présence de rongeurs atteignait son maximum pendant la saison des pluies, les rongeurs cherchant à se protéger des inondations. Les zones commerciales telles que les entrepôts de céréales et les moulins à grains ont été identifiées comme particulièrement vulnérables aux infestations de rongeurs en raison de la disponibilité de nourriture et d’abris. La mauvaise gestion des déchets a été mise en évidence comme un facteur important du problème des rongeurs, soulignant la nécessité d’un entretien systématique de l’environnement fluvial. En outre, les participants ont souligné que l’inefficacité des méthodes de lutte contre les rongeurs a entravé les progrès.
L’atelier final, organisé par MetaMeta en collaboration avec l’université Wolaita Sodo dans la ville de Sodo, a révélé que la communauté était devenue plus consciente des dommages économiques causés par les rongeurs. Cette prise de conscience fait suite à des enquêtes auprès des parties prenantes et à des campagnes de sensibilisation menées par des groupes de travail locaux. Auparavant, les habitants sous-estimaient l’ampleur des dégâts, mais l’intervention, dans le cadre de laquelle des diplômés de l’université Wolaita Sodo ont sensibilisé la communauté par le biais de groupes de discussion, de questionnaires et d’autres méthodes de collecte de données, a permis de mettre le problème en lumière. En conséquence, de nombreux membres de la communauté ont commencé à utiliser des chats comme solution naturelle au problème des rongeurs.
Un participant a fait part de son expérience : “Au départ, je pensais que les dégâts causés par les rongeurs dans ma maison étaient minimes et je n’ai pas pris le problème au sérieux. Cependant, la campagne de sensibilisation m’a fait réaliser que les dégâts étaient importants. J’ai acheté un chat pour 250 ETB (4,17 USD), mais il n’était pas assez gros pour contrôler les rongeurs (rats). J’ai utilisé des rodenticides chimiques, qui ont fini par empoisonner le chat lorsqu’il a mangé un rat mort. J’ai alors acheté un autre chat pour 300 ETB (5 USD) et je m’en suis mieux occupé”. Cette histoire souligne la sensibilisation accrue de la communauté et son approche proactive de la gestion des rongeurs.
La communauté a apprécié la sensibilisation suscitée par l’intervention du projet SCARIA, qui l’a aidée à comprendre la gravité du problème des rongeurs et l’importance des mesures de contrôle biologique. Cette intervention a permis de sensibiliser la population et de promouvoir des pratiques durables de gestion. En outre, les participants ont souligné que les porcs-épics, connus localement sous le nom de “Jart ”, endommageaient également les cultures horticoles. Des pertes économiques aux risques sanitaires en passant par les perceptions des communautés, l’étude établis les bases de recommandations et d’interventions éclairées visant à atténuer les défis posés par les problèmes liés aux rongeurs.
Les discussions ont souligné la nécessité d’une approche à multiples facettes impliquant des conversations communautaires, l’éducation et le renforcement des capacités. L’étude a également identifié des possibilités de synergie avec des initiatives et des programmes existants tels que WASH (eau, assainissement et hygiène), le projet de filet de sécurité productif urbain (en anglais, UPSNP), et la verdure et l’embellissement urbains, suggérant ainsi la possibilité d’une collaboration intersectorielle. Les participants ont mentionné des initiatives de nettoyage régulier le long des berges, la réhabilitation des maisons des groupes à faibles revenus et l’amélioration des latrines publiques comme des activités exemplaires à intégrer dans ces programmes existants.
Ces actions contribueraient de manière significative aux efforts visant à empêcher les rongeurs d’accéder à la nourriture et aux abris, qui sont essentiels à leur prolifération. Ils ont également plaidé en faveur d’un engagement fort de la communauté par le biais de conversations impliquant les chefs religieux, les anciens, les jeunes et les femmes. En mettant l’accent sur la formation et l’éducation en matière de gestion efficace des rongeurs, les habitants ont suggéré de partager les expériences réussies d’autres régions où la gestion des rongeurs a été mise en œuvre de manière efficace. En outre, la présence de l’Université de Wolaita Sodo et du Collège d’enseignement technique et professionnel agricole de Wolaita Sodo est également un facteur important dans la promotion de l’utilisation des connaissances et des pratiques locales, tout en incorporant la recherche scientifique, pour assurer la gestion durable des rongeurs dans la région.
L’étude démontre sans équivoque que la communauté est confrontée à d’importantes pertes économiques, à des risques sanitaires et à des dégâts matériels dus aux infestations de rongeurs. Pour s’attaquer efficacement à ces problèmes, les résultats soulignent l’importance de mettre en œuvre des stratégies de gestion des rongeurs qui impliquent activement la communauté, d’améliorer les pratiques de gestion des déchets et d’adopter des approches holistiques en matière d’urbanisme. La recherche met également en évidence l’ampleur des dommages et des problèmes liés aux rongeurs, soulignant le besoin pressant de collaboration et de coordination entre de multiples secteurs.
Il s’agit d’une étape cruciale dans la bonne direction pour résoudre les problèmes liés aux rongeurs urbains. Toutefois, il s’agit également d’un appel urgent à accorder plus d’attention aux villes du Sud, où l’exposition aux rats est massivement plus élevée. La résolution de ce problème omniprésent nécessite des efforts immédiats et ciblés pour protéger la santé et le bien-être de ces communautés.
Ce blog fait partie d’une série sur SCARIA, où nous sommes en chemin vers une atténuation communautaire durable des problèmes de rongeurs dans les villes africaines de Niamey au Niger, Cotonou au Bénin, Wolaita Sodo en Éthiopie, et Antananarivo à Madagascar. Cette recherche vise à contribuer à une discussion plus large sur l’engagement des communautés et des acteurs. Il est essentiel de reconnaître les responsabilités de chaque acteur et leur évolution dans le temps. Il n’existe pas de solution simple au problème (mal reconnu) des rongeurs, en particulier dans les zones urbaines denses et défavorisées.