Auteurs: Lucía Moreno Spiegelberg, Joël Dossou, Jonas Etougbétché, Luwieke Bosma
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Nous étirons nos tendres feuilles et couvrons l’eau, toute l’eau. Nous nous entassons sur les rives douces et les eaux ouvertes, disputant le territoire aux boîtes et sacs en plastique. Alors que nous grandissons parmi les maisons et les canoës, il pourrait sembler qu’ils flottent sur un pré vert. Mais ils reposent sur un lac épuisé, fatigué de boire l’eau de la ville, aveuglé par l’ombre de nos feuilles. De temps en temps, la pluie cesse et l’eau douce recule, laissant entrer la mer, et nous mourons une fois de plus, en nous enfonçant au fond, en attendant la pluie.
La ville de Cotonou est entourée d’eau. Elle se trouve sur une bande de sable alluvial qui s’étend d’Est en Ouest, séparant le lac Nokoué de l’océan Atlantique. La pluie s’accumule des deux côtés de la ville, formant des marais, et l’eau du lac Nokoué recule et monte, inondant des parties de la ville (1). Cotonou est divisée du Nord au Sud en deux parties inégales par la Lagune de Cotonou, qui relie le lac à la mer, permettant l’entrée d’eau salée pendant les périodes de bas niveau d’eau (2). Le lac Nokoué est fortement contaminé, et son eutrophisation devient visible avec la prolifération d’espèces invasives comme la jacinthe d’eau, qui meurt et renaît avec les fluctuations de salinité de l’eau (2).
La gestion des déchets est généralement considérée comme l’un des problèmes environnementaux les plus pressants de Cotonou, surtout dans les zones sujettes aux inondations et aux établissements informels, car elles sont inaccessibles aux camions-poubelles. Ainsi, une grande partie des déchets solides et liquides de la ville finissent dans les rues ou dans l’eau (3). Malgré les problèmes d’assainissement, les plans d’eau environnants soutiennent l’économie d’une grande partie de la population de Cotonou, dont les revenus dépendent de la pêche (1).
Les établissements de pêcheurs du lac Nokoué trouvent leur origine au XVIIe siècle, lorsque le lac servait de refuge contre les guerres de clans et les enlèvements pour le commerce des esclaves (2). Les réfugiés ont construit des villages sur pilotis, et les eaux du lac les ont protégés de leurs oppresseurs et leur ont fourni du poisson (4). Avec le temps, certains de ces villages sont arrivés sur la côte de Cotonou et ont établi de petits établissements de pêcheurs qui ont échappé à la surveillance des autorités de la ville. En accompagnant l’urbanisation rapide de la côte ouest de l’Afrique, les établissements se sont également développés, formant ce qui est maintenant connu sous le nom de Ladji.
Les maisons de Ladji sont distribuées anarchiquement, avec des maisons sur le sol sec (qui sont parfois inondées) et des maisons sur pilotis s’étendant de la terre ferme aux profondeurs du lac. La population est très pauvre et construit ses maisons avec des matériaux improvisés comme des feuilles de métal ou des matériaux végétaux. Les maisons ont généralement de nombreuses ouvertures, ce qui permet aux rongeurs d’entrer et de sortir. La présence de déchets fait de Ladji un environnement parfait pour les rongeurs et les musaraignes. En effet, les chercheurs ont identifié un taux d’infestation de près de 86% des maisons de Ladji, où les rats noirs et la musaraigne géante africaine étaient les espèces les plus abondantes. Ces petits mammifères ne sont pas contraints par l’eau et peuvent nager; par exemple, les rats noirs peuvent nager jusqu’à 300 mètres.
Une étude exploratoire réalisée par les chercheurs de l’Université d’Abomey-Calavi a permis de montrer que la présence de ces petits mammifères entraîne différents problèmes pour la population. Ainsi, les habitants signalent des dommages aux matériaux domestiques, aux aliments stockés et aux vêtements. Ces dommages matériels constituent un préjudice non seulement pour l’économie domestique, mais aussi pour les activités commerciales alimentaires, la principale occupation des femmes de Ladji. Dans les maisons de Ladji les pertes estimées de maïs dues aux petits mammifères sont d’environ un demi-kilo par semaine, ce qui équivaut à 25% de leurs réserves, étant donné que la population de Ladji ne stocke pas de grandes quantités de maïs.
En plus de leur effet négatif sur l’économie locale, les petits mammifères de Ladji sont porteurs de plusieurs pathogènes qui peuvent être transmis aux humains, tels que Leptospira, Bartonella, Toxoplasma, les entérobactéries résistantes aux antibiotiques, etc. Les risques pour la santé qu’ils représentent contrastent avec la vision de la population à leur égard, car la consommation de rats noirs est normalisée ou même associée à de prétendues propriétés curatives, telles que le soulagement des symptômes de l’asthme. Ces observations mettent en évidence l’importance d’une approche de santé globalisée, ou “One Health”, car elle concerne non seulement la santé, mais aussi les aspects socioculturels et économiques, qui sont essentiels pour aborder le risque accru d’épidémies dans les zones anthropisées où les conditions de vie sont précaires.
Pour faire face à cela, l’équipe du projet SCARIA a rassemblé plusieurs acteurs et disciplines comprenant des scientifiques, des travailleurs de la santé et des résidents, entre autres. Les scientifiques du projet SCARIA ont collecté des données sur de petits mammifères liés à l’abondance et diversité, la caractérisation des habitats, et la prévalence des pathogènes zoonotiques véhiculés par les rongeurs. Ils ont également créé un groupe de jeunes dans la communauté : le “club jeune opérationnel local” (CJOL). Huit jeunes dynamiques ont constitué ce groupe et ont facilité la communication entre les habitants et les scientifiques.
Un comité local a également été établi pour co-créer une stratégie de Gestion Écologique des Rongeurs (EBRM) adaptée au contexte de Ladji. Pour ce faire, plusieurs séances de discussion ont été organisées avec un comité composé de différentes parties prenantes : les communautés locales et leurs représentants (le chef de district et ses consultants, les représentants des associations de femmes et de jeunes, les représentants des associations culturelles et religieuses), les ONG et les services communautaires. A l’issu de ces assises, il a été décidé d’introduire des prédateurs, notamment des chats chez ceux qui le souhaitent, pour nettoyer périodiquement autour des maisons et utiliser des pièges à capture multiple. Cependant, les habitants de Ladji avaient des réserves concernant le coût de ces mesures et le fait de devoir manipuler les rongeurs eux-mêmes. Actuellement, l’équipe du projet assume cette responsabilité et guide les habitants dans les étapes à suivre. Nous développons soigneusement la participation de la communauté dans la gestion des rongeurs dans des environnements urbains très denses, tels que les bidonvilles. C’est l’un des plus grands défis auxquels nous sommes confrontés, car les dynamiques sociales diffèrent significativement des environnements ruraux. Cependant, à travers de nombreuses interactions, discussions et campagnes, nous en apprenons beaucoup sur ce processus, et les croisements entre acteurs interdisciplinaires à plusieurs niveaux sont indispensables.
La population de Ladji avait le désir explicite de gérer les petits mammifères malgré l’impossibilité de dépenser leur temps et leur argent pour cela. C’est pourquoi, dans les prochaines étapes du projet SCARIA, il est prévu de former le CJOL à la manipulation des rongeurs afin qu’ils puissent soutenir les mesures de gestion décidées par la communauté. De plus, des campagnes périodiques de nettoyage seront menées à l’avenir et la participation de la communauté sera renforcée par des campagnes de sensibilisation.
L’équipe de SCARIA a déjà organisé une première session de sensibilisation à Ladji, au cours de laquelle ils ont présenté les résultats de leurs recherches et ont eu des discussions enrichissantes avec les communautés. Pour attirer l’attention de la communauté, l’équipe du projet a transformé l’événement en une fête avec des sketches, des danses et des chansons sur les rongeurs et comment les contrôler. Les paroles des chansons expliquaient les caractéristiques des rongeurs et comment les gérer. L’ambiance festive et animée de l’événement l’a rendu très attractif et réussi, constituant une base solide pour les futures activités dans la région.
RÉFÉRENCES
- Dossou, K. M., & Glehouenou-Dossou, B. (2007). The vulnerability to climate change of Cotonou (Benin) the rise in sea level. Environment and Urbanization, 19(1), 65-79.
- Djihouessi, M. B., & Aina, M. P. (2018). A review of hydrodynamics and water quality of Lake Nokoué: Current state of knowledge and prospects for further research. Regional Studies in Marine Science, 18, 57-67.
- Brock, B., & Foeken, D. (2006). Urban horticulture for a better environment: A case study of Cotonou, Benin. Habitat international, 30(3), 558-578.
- Soumonni, E. (2003). Lacustrine villages in south Benin as refuges from the slave trade. Fighting the slave trade: West African strategies, 38, 1.